
Les personnes chanceuses dotées d’une forte maîtrise de soi
Des recherches suggèrent que les personnes ayant un bon contrôle de soi excellent davantage à éviter les tentations qu’à les combattre une fois présentes.
« Si seulement j’avais plus de self-control. »
« Je n’ai pas un mental d’acier. »
« Je veux profiter de la vie aussi, pas seulement me priver. »
Ce sont des commentaires que j’entends souvent lorsque l’on découvre mon mode de vie.
Je fais partie de ces gens agaçants qui mangent beaucoup de fruits et légumes, font du sport cinq fois par semaine, mettent de côté une partie de leur salaire et lisent ou écrivent chaque matin avant le travail. J’ai une bonne maîtrise de moi-même.
Mieux encore, maintenir ce style de vie ne me semble pas particulièrement difficile : je ne serre pas les dents pour éviter les aliments peu sains, le confort du canapé ou les promotions du Black Friday.
C’est pourquoi je me suis souvent demandé pourquoi certaines personnes réussissent à résister aux tentations tandis que d’autres peinent à y parvenir.
Pour tenter de comprendre, j’ai plongé dans la science de la volonté. Ce qui a commencé comme un simple aperçu s’est transformé en exploration approfondie, et j’ai fini par lire plus de 25 articles scientifiques sur deux mois.
Je souhaite maintenant partager ce que j’ai appris. Considérez cela comme une histoire sur la manière dont les chercheurs ont découvert ce que les personnes ayant une bonne maîtrise de soi savaient déjà depuis longtemps.
Les bonnes nouvelles et les mauvaises nouvelles

J’ai de bonnes nouvelles et de moins bonnes nouvelles pour ceux qui pensent qu’ils ont besoin d’une volonté plus forte pour atteindre leurs objectifs professionnels, scolaires, alimentaires, sportifs ou autres.
Commençons par la mauvaise nouvelle :
Avoir un bon contrôle de soi prédit effectivement de nombreux résultats positifs dans la vie. Les personnes dotées d’une forte maîtrise de soi réussissent mieux à l’école, rencontrent moins de problèmes de santé mentale, entretiennent de meilleures relations avec leurs proches et présentent généralement moins de comportements impulsifs, comme les excès alimentaires ou l’alcoolisme.
Elles sont même plus heureuses :
« Contrairement à l’hypothèse puritaine et à d’autres visions de la maîtrise de soi comme sacrifice sévère et discipline stricte, les personnes ayant un haut niveau de maîtrise de soi se sentent généralement mieux que les autres, même dans l’instant présent, et sont plus satisfaites de leur vie en général. »
Certains chercheurs sont allés jusqu’à qualifier la maîtrise de soi de « l’une des adaptations les plus puissantes et bénéfiques de la psyché humaine ».
Les bonnes nouvelles
La bonne nouvelle, c’est que posséder une bonne maîtrise de soi ne signifie pas livrer un combat constant contre les tentations. Le type de contrôle de soi qui conduit à tous ces résultats positifs est beaucoup plus facile et naturel que ce que suggèrent les termes « volonté » ou « discipline personnelle ».
Le reste de cet article expliquera pourquoi c’est le cas. L’idée n’est pas de dire que résister aux tentations sur le moment ne fonctionne pas (cela fonctionne en fait environ 80 % du temps), mais de montrer que ce n’est généralement pas ce sur quoi s’appuient les personnes ayant une forte maîtrise de soi.
La tentation épuise… mais pas de la même manière pour tous
Dans les recherches sur la maîtrise de soi, il semble que les scientifiques aient pris le terme au pied de la lettre et trouvé un moyen pratique de l’étudier en laboratoire : « La maîtrise de soi doit concerner le ‘soi’ et le ‘contrôle’, voyons donc ce qui se passe lorsque les gens résistent à la tentation. »
Une méthode populaire pour étudier ces actes de maîtrise de soi sur le moment est le paradigme des doubles tâches. Comme son nom l’indique, il comporte deux étapes :
- Les participants effectuent une tâche qui exige de résister à une tentation ou d’inhiber une impulsion. Par exemple, ils doivent manger des radis tout en regardant un bol de cookies, ou ne montrer aucune émotion en regardant un film.
- Ils réalisent ensuite une seconde tâche, sans rapport avec la première, souvent un puzzle ou une série d’anagrammes.
La plupart de ces expériences montrent que les personnes qui ont dû exercer leur maîtrise de soi lors de la première tâche performent moins bien dans la seconde. Sur cette base, les chercheurs ont formulé deux idées :
- Résister à la tentation est fatigant. Cette fatigue mentale a été appelée « épuisement de l’ego » (ego depletion).
- La maîtrise de soi puiserait dans une ressource limitée, un peu comme un muscle, d’où le terme « modèle muscle/force de la maîtrise de soi ».
L’ironie des résultats

Voici toutefois un retournement : les résultats positifs sur la vie (réussite scolaire, santé mentale, relations, etc.) dont nous avons parlé précédemment ne sont pas issus d’études sur l’épuisement de l’ego. Ils proviennent surtout d’études ayant mesuré la maîtrise de soi via un questionnaire auto-déclaratif.
Jusqu’à récemment, nous ne savions donc pas ce qui expliquait ces résultats. Certains se sont demandés si certaines personnes avaient tout simplement des « muscles de volonté » plus puissants, ce qui les rendrait moins vulnérables à l’épuisement après avoir résisté à une tentation.
Heureusement, une équipe de chercheurs allemands a testé cette hypothèse. Ils ont mené des expériences selon le paradigme des doubles tâches, tout en mesurant le niveau de maîtrise de soi des participants grâce à un questionnaire (le même utilisé dans les méta-analyses liant la maîtrise de soi à de nombreux résultats positifs dans la vie).
Leur découverte a été surprenante : les personnes ayant une forte maîtrise de soi étaient plus vulnérables à l’épuisement de l’ego. Après avoir exercé leur maîtrise de soi, elles mangeaient plus de bonbons et prenaient plus de risques lors d’un jeu de dés.
En d’autres termes, se décrire comme quelqu’un ayant une bonne maîtrise de soi ne protège pas contre l’épuisement ; au contraire, ces personnes semblaient avoir des « muscles de volonté » moins résistants.
Qu’est-ce qui se passe vraiment ?
Si la maîtrise de soi en tant que trait n’empêche pas l’épuisement de l’ego, qu’est-ce qui explique alors tous ces résultats positifs dans la vie ?
C’est la question centrale : les bonnes performances dans la vie quotidienne ne semblent pas dépendre d’une résistance constante aux tentations, mais de quelque chose de plus subtil que les expériences classiques sur l’ego depletion ne capturent pas.
Les personnes dotées d’une forte maîtrise de soi rencontrent moins de tentations au quotidien
Pendant mes recherches pour cet article, toutes les pistes semblaient mener à un article en particulier qui ne portait même pas directement sur la maîtrise de soi. À en juger par le nombre de fois où il était cité, ses conclusions semblaient avoir réellement surpris la communauté scientifique spécialisée.
Cet article portait sur les tentations quotidiennes, ou, pour parler comme les chercheurs, la « phénoménologie du désir dans la vie quotidienne », et il utilisait la méthode de l’échantillonnage d’expérience.
Concrètement, les chercheurs ont demandé à environ 200 personnes à Würzburg, en Allemagne, de porter un bip pendant une semaine et de rapporter leurs désirs actuels ou récents chaque fois que le bip retentissait, soit sept fois par jour. Lorsqu’ils ressentaient un désir, ils devaient répondre à quelques questions de clarification, et dans certains cas, indiquer la situation dans laquelle ils se trouvaient (par exemple, s’ils avaient consommé de l’alcool ou s’ils étaient seuls ou accompagnés).
Des résultats attendus… et un détail surprenant

La plupart des résultats n’étaient pas très surprenants :
- Les participants éprouvaient un type de désir environ 50 % du temps.
- Les désirs les plus fréquents concernaient la nourriture, le sommeil, la consommation de boissons, l’utilisation des médias, les loisirs ou les interactions sociales.
- Lorsqu’ils mobilisaient leur maîtrise de soi, ils parvenaient à résister à la tentation environ 80 % du temps.
Mais les résultats concernant un sous-groupe particulier — les participants ayant un score élevé à une mesure de trait de maîtrise de soi — étaient plus surprenants. Ces participants n’avaient pas moins de désirs en général, mais ils avaient moins de désirs problématiques : ils déclaraient moins de conflits et moins de résistance liés à leurs désirs.
En d’autres termes, les personnes ayant un fort trait de maîtrise de soi rencontraient moins de tentations dans leur vie quotidienne.
Une maîtrise de soi basée sur l’évitement
Ces résultats suggèrent que les chercheurs ont finalement déplacé leur attention des actes individuels de maîtrise de soi vers les personnes réellement douées pour cela, pour découvrir que ces personnes semblaient presque sourire en se disant : « Vous pensiez que nous vivions en grinçant des dents, hein ? »
Les auteurs concluent :
« Les personnes ayant un haut niveau de trait de maîtrise de soi sont douées pour éviter les tentations, pas pour y résister. »
Cette conclusion concorde avec les résultats ironiques concernant l’épuisement de l’ego : si les personnes ayant une bonne maîtrise de soi évitent généralement les tentations, il est compréhensible qu’elles performent mal lorsqu’elles sont placées dans une situation artificielle où elles doivent résister à une tentation. Après tout, si vous ne soulevez jamais de charges lourdes, vous ne deviendrez pas fort.
Des stratégies conscientes pour éviter les tentations
Une autre étude a testé cette hypothèse de l’évitement des tentations et a montré que les personnes ayant un haut score de maîtrise de soi utilisaient plus fréquemment des stratégies pour minimiser ou éviter les tentations.
Et il ne s’agissait pas que de paroles : elles choisissaient par exemple de travailler sans distractions, en préférant une pièce calme à une pièce bruyante avant de commencer une tâche de résolution de problème.
Mais faire des choix individuels intelligents ne semble pas être la seule raison pour laquelle les personnes ayant une bonne maîtrise de soi rencontrent moins de tentations.
La maîtrise de soi passe par la construction et la rupture d’habitudes
Les résultats sur l’évitement des tentations ont intrigué les chercheurs quant au rôle que jouent les habitudes dans la maîtrise de soi. Après tout, les habitudes permettent de réduire la résistance en automatisant un comportement. Peut-être que c’est justement là où ces personnes chanceuses excellent.
Les données semblent confirmer cette hypothèse. Une méta-analyse a montré que le trait de maîtrise de soi était davantage associé à des comportements automatiques qu’à des comportements consciemment contrôlés.
Les habitudes des personnes ayant une forte maîtrise de soi

Plus spécifiquement, les personnes ayant un haut niveau de maîtrise de soi présentent :
- Des habitudes de grignotage moins fréquentes et moins nocives,
- Des habitudes d’exercice physique plus solides,
- Des habitudes de méditation plus stables, même trois mois après un stage de méditation.
Il semblerait qu’en s’appuyant sur des habitudes et des routines stables, les individus dotés d’une meilleure maîtrise de soi puissent adopter des comportements importants de manière plus automatique et sans effort.
L’influence variable de la maîtrise de soi selon les domaines
Toutefois, le trait de maîtrise de soi n’influence pas de la même manière tous les domaines de la vie. Il a ses effets les plus marqués sur le travail et les études.
Cela s’explique si la maîtrise de soi consiste à construire et rompre des habitudes : il est plus facile de créer des routines liées au travail ou aux études qu’aux comportements alimentaires, qui sont beaucoup plus influencés par les besoins naturels et les prédispositions génétiques. C’est comme si les personnes ayant une bonne maîtrise de soi disaient : « Si nous pouvons en faire une routine, nous pouvons réussir. »
La maîtrise de soi consciente et automatique
Les résultats que nous avons examinés rendent de plus en plus difficile la vision de la maîtrise de soi comme un « simple mécanisme général d’inhibition ». Il n’est donc pas étonnant que les chercheurs commencent à différencier la maîtrise de soi effortful (requérant un effort conscient) de la maîtrise de soi effortless (naturelle et automatique).
Bien que la maîtrise de soi effortful soit courante dans la vie quotidienne, c’est la forme effortless qui semble réellement expliquer ces résultats enviables sur le long terme.
La maîtrise de soi de niveau supérieur : prévenir le besoin d’effort
Récemment, j’ai expliqué à un ami comment je régule mon temps devant la télévision : j’essaie de ne pas commencer de nouvelle série, car je sais que si je le fais, je finirai par regarder toute la saison d’un coup. « Cela demande de la discipline », a commenté mon ami.
Il avait raison : il faut de la discipline pour ne pas commencer une nouvelle série. Mais en réalité, ne pas commencer une nouvelle série demande moins de discipline que de s’arrêter après un épisode de Ted Lasso alors qu’on en aurait envie de regarder un autre.
Utiliser la maîtrise de soi de manière stratégique
Le fait que les personnes ayant une bonne maîtrise de soi rencontrent moins de tentations ne signifie pas qu’elles n’utilisent jamais la maîtrise de soi. Elles l’utilisent simplement de manière plus stratégique ou à un stade plus précoce :
« Éviter la tentation est en soi un acte d’autorégulation, qui requiert prévoyance, anticipation efficace et connaissance de soi. Dans un certain sens, éviter la tentation est une stratégie de meta-régulation qui permet de gérer ses ressources d’autorégulation de manière optimale. En évitant les tentations, on s’épargne l’effort considérable de volonté qui serait nécessaire pour y résister, et on se met moins souvent dans un état de fatigue et de vulnérabilité. »
Anticiper pour mieux se contrôler
Les personnes qui semblent douées pour la maîtrise de soi sont probablement celles qui anticipent les situations où elles risqueraient d’échouer et prennent des mesures pour l’éviter. Elles excellent dans ce que l’on pourrait appeler la « meta-maîtrise de soi » : un niveau supérieur de contrôle qui consiste à prévenir le problème plutôt qu’à lutter contre lui après coup.