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On ne se connaît pas aussi bien qu’on le croit. Et c’est peut-être mieux ainsi

Connais-toi toi-même : une quête ancienne

« Connais-toi toi-même. » Nombreux sont ceux qui ont prononcé cette maxime. Socrate, peut-être en avez-vous entendu parler ? Pourtant, il semble qu’il ait lui-même emprunté cette expression à l’oracle du temple d’Apollon à Delphes, où elle était gravée sur la façade de pierre.

Dans le Tao-te King, Lao-tseu écrit :

« Si tu comprends les autres, tu es intelligent. Si tu te comprends toi-même, tu es illuminé. »

Shakespeare, quant à lui, avait sa propre formule concise :

« Sois fidèle à toi-même » — ce qui suppose encore de se connaître assez pour pouvoir l’être.

Une recommandation valable, mais à nuancer

C’est un bon conseil… jusqu’à un certain point. Si vous ne savez absolument rien de vous-même — de vos goûts, de vos désirs, de vos valeurs ou de votre personnalité — vous êtes soit un nourrisson, soit confronté à des problèmes plus profonds qu’un philosophe mort depuis longtemps ne pourra résoudre.

Une quête amplifiée par la modernité

La vie moderne semble encourager une connaissance de soi toujours plus fine. De plus en plus de personnes consultent en thérapie pour mieux se comprendre. Elles suivent le nombre de pas qu’elles font, surveillent leur sommeil, lisent des articles spécialisés. Elles partagent leurs données avec des bases de marketing pour déterminer leur type Myers-Briggs, leur numéro d’Ennéagramme ou leur maison dans Harry Potter.

Sur TikTok, comme l’a rapporté Rebecca Jennings pour Vox, des créateurs inventent sans cesse de nouvelles micro-identités auxquelles chacun peut s’identifier. Les « dilly dally-ers » sont ceux qui aiment perdre leur temps. Un « ami thérapeute » est celui dont les amis viennent confier leurs problèmes. La quête de soi devient une sorte de jeu identitaire sans fin.

Une injonction culturelle omniprésente

Il semble parfois que cette recherche soit devenue essentielle à la vie elle-même, comme si ne pas tenter de se comprendre revenait à passer à côté de l’existence. Socrate, encore lui, affirmait : « Une vie sans examen de conscience ne vaut pas la peine d’être vécue. »

« Si vous n’avez pas remarqué à quel point ce message est omniprésent dans la société, soyez attentifs dans les prochains jours », m’a confié Rebecca Schlegel, psychologue sociale à l’Université Texas A&M. « C’est tellement ancré dans notre culture que nous le tenons presque pour acquis. »

L’illusion d’une connaissance de soi parfaite

Mais rêver d’une connaissance parfaite de soi est illusoire. S’y acharner peut même nous laisser plus confus qu’au départ. La capacité humaine à se percevoir clairement et précisément a ses limites, que ni les tests de personnalité ni les données Fitbit ne peuvent vraiment dépasser.

« Nous ne devrions jamais croire que nous nous connaissons très bien », m’a expliqué Simine Vazire, professeure de psychologie à l’Université de Melbourne. « Quiconque pense le savoir — par définition — manque de connaissance de soi, car il se trompe sur ce point, au moins. »

L’inconscient, ce grand acteur silencieux

Se connaître soi-même est difficile, notamment parce que certains comportements et attitudes émergent de l’inconscient, hors de notre champ de conscience.

« L’esprit ronronne sous le capot de diverses manières », m’a expliqué Timothy Wilson, psychologue à l’Université de Virginie et auteur de Strangers to Ourselves. L’un des nombreux exemples qu’il donne concerne la manière dont nous interprétons les situations ambiguës.

Si je raconte une blague à une fête et que personne ne rit, mes schémas inconscients détermineront ma réaction : vais-je me sentir comme un idiot socialement maladroit que tout le monde déteste, ou vais-je supposer que personne ne m’a entendu à cause du bruit ambiant — car je suis, évidemment, charmant et hilarant ?

Les préjugés, un frein à la connaissance de soi

Les préjugés constituent un obstacle majeur à la connaissance de soi. Par exemple, beaucoup de gens ont tendance à se considérer comme supérieurs à la moyenne dans de nombreux domaines — ce qui est statistiquement impossible. Cette illusion d’excellence individuelle fausse notre perception de nous-mêmes.

C’est aussi ce qui limite l’efficacité des tests de personnalité, comme l’a expliqué Simine Vazire. Loin de révéler une vérité profonde, ces tests « ne font que vous répéter ce que vous leur dites ». En d’autres termes, ils reflètent plus nos croyances que nos réalités.

L’illusion de la stabilité personnelle

Un autre problème, plus subtil, est notre faible conscience de notre propre capacité de changement. Une étude menée par Timothy Wilson auprès de 19 000 personnes, intitulée L’illusion de la fin de l’histoire, a révélé un paradoxe frappant : les participants reconnaissaient avoir beaucoup changé au cours des dix dernières années, mais pensaient qu’ils changeraient peu dans les dix à venir.

Cette tendance à croire que notre moi actuel est définitif nous empêche d’envisager de nouvelles évolutions, et donc d’embrasser pleinement notre potentiel de transformation.

Les pièges de l’introspection

La quête de la connaissance de soi est exigeante, même lorsqu’elle est abordée avec méthode. Méditer, tenir un journal ou se poser des questions profondes peut s’avérer enrichissant. Mais l’introspection consciente comporte aussi un revers : la rumination.

Se concentrer excessivement sur un problème, le ressasser encore et encore, peut amplifier l’anxiété et enfermer dans une spirale de pensées négatives. Penser à soi n’est pas toujours salvateur.

Trop réfléchir peut brouiller les émotions

Penser intensément à ce que l’on ressent peut parfois déformer nos sentiments. Dans une petite étude, Wilson a demandé à des participants de réfléchir à l’évolution de leur relation amoureuse. Résultat : leur satisfaction changeait après cette réflexion. Certains se sentaient plus heureux, d’autres moins — sans que cela corresponde forcément à une réalité émotionnelle plus profonde.

Wilson avance que ces personnes prêtaient trop d’attention aux raisons qu’elles arrivaient (ou non) à formuler. Ne pas pouvoir énumérer spontanément plusieurs raisons d’aimer son partenaire pouvait les amener à douter injustement de leurs sentiments. Comme il l’écrit, « on construit parfois une nouvelle histoire de sentiments à partir des raisons qui nous viennent à l’esprit ».

Une autre manière d’envisager l’introspection

Dans son livre, Wilson propose une image différente de l’introspection : non pas une fouille archéologique à la recherche d’une Vérité intérieure, mais une critique littéraire, dans laquelle nous serions le texte à analyser.

Tout comme un roman n’offre pas une seule vérité, chaque individu contient une multitude de facettes. Plutôt que de chercher une version parfaitement exacte de soi-même — mission impossible — il vaudrait mieux, selon lui, construire un récit « assez positif » et « relativement ancré dans la réalité ».

C’est aussi ainsi qu’il envisage la thérapie : comme un travail collaboratif de réécriture de soi, jusqu’à ce que l’on parvienne à une version suffisamment satisfaisante pour pouvoir avancer sans y penser constamment.

Le mythe du « vrai soi »

L’idée qu’il existe en chacun un « vrai moi » durable, caché sous les couches de la vie quotidienne, est répandue — et tenace. Comme l’a observé Rebecca Schlegel, les gens qui traversent de grands changements, en particulier positifs, les interprètent souvent comme une redécouverte de ce qu’ils ont toujours été, plutôt qu’une transformation véritable.

Schlegel a montré que croire en un soi authentique peut aider à donner du sens à sa vie. Mais elle se décrit elle-même comme une « agnostique du vrai soi ». Elle cite le psychologue Roy Baumeister, qui qualifie ce concept de « mythe gênant ».

Car malgré les bénéfices de cette croyance, elle peut aussi avoir un effet pervers : « L’inconvénient », dit-elle, « c’est ce qui se passe si nous nous fermons au changement. Et nous passons alors à côté de quelque chose que nous aurions pu aimer. »

Une surprise inattendue

Pendant la majeure partie de ma vie, je me considérais comme une amoureuse des chiens qui détestait courir. Pourtant, il y a quelques week-ends, j’ai couru un 5 km… puis je suis rentrée chez moi retrouver mes deux chats, que j’adore profondément.

Si quelqu’un avait montré une prémonition de ce samedi à mon moi plus jeune, elle aurait été déconcertée, voire alarmée. Ma préférence pour les chiens et mon aversion pour la course faisaient partie des rares certitudes que je croyais immuables.

Mais peut-être n’était-ce qu’un manque d’imagination. Comme l’écrivent Wilson et ses coauteurs dans leur étude L’illusion de la fin de l’histoire : « Les gens peuvent confondre la difficulté d’imaginer un changement personnel avec l’improbabilité du changement lui-même. »

Des changements sans explication

Pourquoi ai-je changé d’avis ? Je ne saurais le dire. Un jour, je suis montée sur un tapis de course, sans réelle raison, et j’ai trouvé cela plutôt supportable. Mon mari voulait des chats, et je suis tombée sous leur charme le jour où nous les avons ramenés à la maison, petits, miaulants et irrésistibles.

Avais-je toujours été une personne à chats sans le savoir ? Un esprit coureur, enfoui quelque part en moi ? Ai-je réellement changé, ou suis-je simplement devenue plus moi-même ?

Honnêtement, je n’en ai aucune idée — et cela m’est égal. Peu importe l’explication, j’en suis arrivée au même point : regarder Survivor en courant de temps à autre, et être réveillée chaque matin à 6 h par une petite langue râpeuse qui me lèche le visage.

L’identité ne se résume pas à nos habitudes

Simine Vazire, elle aussi, court « très occasionnellement ». Elle m’a confié que son compagnon bien intentionné lui partage parfois des conseils pour améliorer sa foulée ou optimiser ses performances. Ce qui, avouons-le, l’agace. « Je n’essaie pas d’optimiser quoi que ce soit », m’a-t-elle dit. « Je ne cherche pas à devenir une coureuse. »

Et moi non plus. Je ne me considère pas comme une coureuse. Je cours parfois, c’est tout. Toutes les habitudes ou préférences ne sont pas destinées à devenir des identités. Parfois, on fait juste des choses. Comme le dit Rebecca Schlegel : « Tout n’a pas besoin d’être si lourd. »

Une conception plus souple de soi

Plutôt que de croire que notre véritable moi est figé, peut-être devrions-nous cultiver une vision de nous-mêmes plus souple — une perception ouverte à la surprise, au changement, voire au mystère.

Les recherches suggèrent qu’adopter une conception évolutive du moi est bénéfique : cela réduit le stress, améliore la santé physique et atténue les réactions négatives face à l’adversité. Peut-être devrions-nous arrêter de nous chercher aussi intensément. Laisser tomber les étiquettes, le Choixpeau magique et les tests de personnalité. Vivre. Essayer. Voir ce que ça donne, sans forcément y lire les indices d’une vérité cachée.

L’impossibilité de se connaître pleinement

Être découvert, être compris — ce sont peut-être des buts inaccessibles. Non seulement notre capacité à nous comprendre est limitée, mais la science elle-même semble incapable de percer ce mystère. Vazire reste sceptique quant à la capacité de la recherche empirique à éclairer la nature profonde de la connaissance de soi. « Je ne pense pas que l’expertise dont nous avons besoin ici soit des données quantitatives », a-t-elle déclaré. « C’est plutôt de la sagesse. Ou quelque chose comme ça. »

Certaines parties de nous resteront toujours un peu insaisissables, hors de portée des définitions simples ou des tests standardisés — et c’est peut-être une bonne chose.

Finalement…

Je suis peut-être toujours la même personne. Peut-être pas. Ce que je sais, c’est qu’aujourd’hui, j’aime plutôt les chats.

Source : theatlantic.com/

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Publié par Carole Mazeau

À propos de l’auteure: J’ai commencé à écrire pour ESM en 2017. Étant une grande passionnée de développement spirituel, j’aime mettre à contribution mes connaissances et mon savoir pour en faire profiter les autres.J’espère ainsi encourager les gens à approfondir leurs connaissances sur la spiritualité et à devenir la meilleure version d’eux-mêmes.

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