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L’outil le plus puissant pour guérir : savoir raconter les bonnes histoires

« Ce n’est pas la force, mais la résilience face à la douleur qui révèle ce que nous sommes vraiment. » ~Anonyme

Au milieu de la trentaine, j’ai traversé ce que j’ai vécu comme une profonde dépression.

Si on m’avait posé la question dix ou vingt ans plus tôt sur des abus dans mon enfance, j’aurais répondu catégoriquement non. Pourtant, à cet âge, des souvenirs étranges et troublants ont commencé à refaire surface dans mon corps, accompagnés de fragments de phrases et de scènes floues. Ces éclats de mémoire semblaient rassembler de nombreuses expériences dissociées de ma vie ; c’était comme si un puzzle ancien prenait soudain forme, révélant un tableau que je n’avais jamais pu voir auparavant.

Mes lectures m’ont beaucoup aidé à prendre conscience de ce traumatisme latent. Je me suis mis à lire sans relâche sur la violence, qu’elle soit présente dans les familles, les institutions ou même dans les conflits internationaux. Et presque tous les ouvrages faisaient référence à « Trauma et rétablissement » de Judith Herman.

Curieux, j’ai fini par emprunter ce livre. En le lisant, j’avais l’impression de me voir dans un miroir. Je croyais avoir eu une enfance sans nuages, mais ce livre mettait des mots sur ce que je sentais depuis toujours sans pouvoir le nommer : dissociation, déconnexion entre le corps et l’esprit, peur diffuse, culpabilité inexplicable.

Au début, lire ce livre m’a donné un sentiment de puissance et de compréhension.

Puis, à mesure que les souvenirs revenaient, j’ai commencé à vivre des crises d’angoisse intenses. Je me sentais emporté par une force immense, incontrôlable, et j’avais peur de me perdre totalement. Comme si d’énormes vagues de douleur et d’horreur me submergeaient, m’arrachant toute stabilité.

Je ressentais un vertige intérieur, une sensation d’être renversé, incapable de retrouver mes repères. Je sentais que la personne que j’avais été — posée, sûre d’elle, ordonnée — s’effaçait peu à peu, remplacée par quelqu’un de vulnérable, effrayé par le monde, horrifié par ce que les humains pouvaient infliger aux autres, incapable de se sentir en sécurité. C’était comme si le sol s’était dérobé sous mes pieds.

Je devais maintenant affronter cette histoire, me réinventer et apprendre à vivre avec ces blessures tout en cherchant à retrouver un ancrage et une force intérieure. Chaque souvenir douloureux, chaque fragment de mémoire, devenait peu à peu une ouverture vers la compréhension de moi-même et, paradoxalement, vers une part de moi plus forte et plus vraie.

Avec le temps, j’ai commencé à reconstituer l’histoire de mon traumatisme : lorsque j’étais enfant, j’avais été victime d’un grave accident qui m’avait laissée marquée physiquement et psychologiquement. Trop jeune pour comprendre pleinement ce qui m’arrivait et sans témoin pour m’accompagner, la peur, l’angoisse et un sentiment d’impuissance se sont enracinés en moi, silencieux mais puissants.

Au début, lorsque les souvenirs ont refait surface, ils étaient plus physiques que verbaux. Je ressentais des flashbacks intenses : le fracas du métal, la douleur brutale, la sensation d’être incapable de bouger ou de respirer, la terreur traversant tout mon corps et mon esprit. Ces souvenirs semblaient habiter chaque fibre de moi, me rappelant un danger que je croyais oublié.

Il m’a fallu mobiliser toutes mes forces pour empêcher ma vie de s’effondrer. J’étais mère de deux jeunes enfants et je menais une carrière d’écrivaine et d’enseignante universitaire relativement épanouissante. Mais à ce moment-là, je n’avais plus d’énergie pour autre chose qu’élever mes enfants et prendre soin de moi-même.

Je concentrais mon énergie sur eux, essayant d’être la mère que je voulais être :

Toutes les images Pixabay

présente, attentive, bienveillante et capable de rire avec eux. Leur présence me permettait de rester ancrée, de retrouver un sens au quotidien, et de percevoir, malgré ma douleur, un peu d’espoir et d’amour dans le monde.

Mais une fois leurs yeux fermés le soir, je me retrouvais seule avec un monde sombre et tourmenté. Je ne reconnaissais plus la personne que j’étais. Ma confiance en mon corps et dans le monde avait été profondément ébranlée. À la peur et à l’horreur s’ajoutait une culpabilité et une honte sourdes.

Pour des raisons complexes, les sentiments de honte et de culpabilité peuvent être particulièrement forts dans les traumatismes graves subis dans l’enfance. Ils s’installent tôt et peuvent engendrer un sentiment de dégoût de soi et une profonde méfiance envers son corps et ses capacités. Les enfants ont tendance à se blâmer eux-mêmes, inconsciemment, pour essayer de restaurer l’illusion d’un monde sûr et prévisible.

Ainsi, même si je savais rationnellement que je n’étais en rien responsable de cet accident, je ressentais physiquement cette culpabilité et cette honte, comme un poids diffus qui s’étendait de mon estomac à l’ensemble de mon corps. C’était comme si cette blessure avait laissé une marque indélébile, une sensation de fragilité qui semblait toucher chaque aspect de ma vie.

Mon écriture, qui avait toujours été ma manière de m’exprimer et de partager le monde tel que je le percevais, s’était transformée. Je ne pouvais plus écrire que sur la peur, la douleur et l’angoisse. Ces histoires ne me représentaient pas vraiment et je n’osais pas les partager. Ma carrière d’écrivaine se trouvait suspendue, incertaine, comme si elle avait été balayée par le vent du traumatisme.

C’était au début des années 2010, à une époque où parler ouvertement de troubles psychologiques liés à un traumatisme était encore tabou. Je craignais le jugement et l’incompréhension. Je ne connaissais personne ayant parlé publiquement d’un traumatisme similaire ou souffrant ouvertement de stress post-traumatique. Et il m’était clair que j’étais profondément affectée par ce syndrome. Je me demandais si cette souffrance allait durer toute ma vie.

Au début, j’avais espéré surmonter cette période rapidement. Mais les semaines sont devenues des mois, puis des années, et je m’enfonçais de plus en plus. Honteuse et paralysée par la peur de ne jamais guérir, je gardais mon combat pour moi. Seul mon mari, quelques amis proches et des professionnels de santé étaient au courant.

Autour de moi, je voyais des gens soutenir leurs proches dans la maladie ou la maternité.

Mais pour mon traumatisme, le secret et le silence entretenaient la honte, reproduisant, à ma manière, ce que j’avais vécu enfant. Une année est devenue deux, puis trois. L’avenir que j’avais imaginé comme écrivaine et enseignante semblait à jamais hors de portée.

Puis, très lentement, j’ai commencé à retrouver pied. J’ai entrepris une thérapie, rejoint des groupes de personnes souffrant également de stress post-traumatique, et j’ai appris à parler de ce que je vivais. La méditation et le yoga sont devenus des pratiques quotidiennes pour m’ancrer et renouer avec mon corps.

Peu à peu, j’ai brisé le silence et reformulé ma propre histoire. J’écrivais de longues heures dans mon journal, un espace sûr où je pouvais explorer chaque partie de moi-même sans jugement, apprendre à m’observer, à m’accepter et à me reconstruire. C’était un chemin long et difficile, mais il m’a permis de réapprendre à vivre, à sentir et à espérer.

Mettre des mots sur ce qui s’était passé et apprendre à écouter mon corps avec compassion a été le premier pas pour commencer à inverser la tendance.

Au début, je n’en parlais qu’aux quelques personnes en qui j’avais le plus confiance. Mais peu à peu, des amis et connaissances ont commencé à me confier leurs propres expériences de traumatismes et de guérison. Certains m’ont mise en contact avec d’autres survivants d’accidents graves ou d’événements bouleversants qui avaient trouvé des moyens de se reconstruire. J’ai découvert un véritable réseau de personnes partageant leurs histoires et leurs techniques pour retrouver un équilibre après des expériences douloureuses.

Touchée par la force et la résilience des témoignages que j’entendais, j’ai commencé à rencontrer et interviewer des personnes ayant traversé différents types de traumatismes, afin de comprendre comment elles avaient surmonté leurs crises. Je voulais voir par moi-même si la guérison était vraiment possible et comment elle se manifestait dans la vie de ceux qui l’avaient expérimentée.

J’ai rencontré des parents ayant perdu un enfant, des personnes incarcérées, des malades confrontés à des cancers graves et des survivants d’accidents graves. Ce qui m’a frappée, c’est la manière dont elles avaient trouvé un sens à leur souffrance et réussi à en tirer des enseignements pour se reconstruire. Beaucoup avaient développé une force intérieure et une profondeur spirituelle qui leur permettaient de faire face aux défis de la vie avec courage et lucidité.

Je ne voyais pas des personnes brisées par leurs traumatismes, mais des êtres vivants, vibrants, porteurs de connaissances et d’expériences précieuses. Les récits captivants qu’elles racontaient, leur capacité à affronter, explorer et intégrer leur passé, leur conféraient une lumière particulière. Malgré la souffrance, elles avaient trouvé une richesse intérieure et un courage qui inspiraient profondément.

Écouter ces histoires m’a permis de prendre du recul par rapport à ma propre douleur et de devenir une observatrice plus compatissante de mon histoire.

En voyant comment d’autres avaient grandi et approfondi leur existence grâce à leurs expériences, j’ai pu recadrer les miennes et développer ma vie spirituelle de manière plus consciente. J’ai intensifié ma pratique de la méditation et suivi une formation de professeur de yoga kundalini, explorant mon corps et mon esprit avec plus de présence et de bienveillance.

Avec le temps, j’ai compris que cette période douloureuse n’était pas une rupture dans ma vie, mais une étape nécessaire de guérison, de transformation et de croissance. Traverser cette phase difficile m’a permis de mobiliser une force intérieure que je ne soupçonnais pas, d’affronter mes souvenirs d’enfance et de reconstruire ma stabilité émotionnelle et psychique.

En faisant ce travail, j’ai développé une nouvelle force et une nouvelle appréciation de moi-même. Ce qui peut sembler faiblesse, confusion ou échec est souvent la porte d’entrée vers le courage et la résilience.

Aujourd’hui, je peux dire que j’ai retrouvé un équilibre après mon traumatisme. Je me sens mieux, physiquement et émotionnellement, qu’avant cette période de crise. Je peux accueillir mes émotions et celles des autres avec plus de compassion et d’ouverture. Je suis plus capable de profiter de la vie, d’éprouver la joie et de savourer pleinement la beauté du monde.

J’ai pu avancer grâce aux témoignages de ceux qui m’ont montré que la guérison était possible. Ces histoires m’ont donné foi dans la capacité de traverser la douleur et de transformer le traumatisme en force et en apprentissage. Elles m’ont aidée à percevoir cette période non pas comme une chute dans les ténèbres, mais comme un chemin vers davantage de lumière.

J’ai appris à faire confiance au processus, même lorsque tout en moi doutait qu’il y aurait une issue.

Du livre « Trauma et rétablissement » de Judith Herman aux amis partageant leurs histoires, en passant par les groupes de soutien, les thérapeutes et les enseignants de yoga et de méditation, j’ai été entourée de personnes qui croyaient en la possibilité de guérir.

Il y a eu des moments où j’aurais pu abandonner, chercher des solutions extérieures ou fuir la douleur par le travail, l’alcool ou des changements radicaux dans ma vie. Mais j’ai compris que la douleur et la culpabilité faisaient partie du chemin de guérison. Quand je me heurtais à un mur, ce n’était pas le moment d’abandonner, mais celui de chercher un soutien et de nouvelles ressources.

Si nous croyons que ressentir de la douleur ou de la honte est un signe de faiblesse, nous risquons de passer à côté des véritables occasions de grandir et de guérir. Mais accueillir pleinement ces expériences, les traverser avec soutien et patience, permet de se transformer et de trouver la lumière, même après l’obscurité la plus profonde.

À l’instar de Brené Brown, qui qualifie sa dépression d’éveil spirituel, je crois que la véritable croissance ne peut se produire que si nous nous autorisons à explorer les zones difficiles et douloureuses de notre vie. Nous ne devons pas nous attendre à ce que notre existence suive un parcours rectiligne et sans heurts. Il est essentiel de partager non seulement les récits des traumatismes que nous avons subis, mais aussi ceux du processus de guérison et de reconstruction.

La guérison demande du temps et de l’énergie. Elle semble souvent nous faire tomber avant que nous puissions nous relever. Parfois, nous devons revenir sur nos pas avant de pouvoir avancer pleinement. Et pourtant, si nous persévérons, elle peut nous rendre plus heureux, plus sains, plus connectés à nous-mêmes et aux autres, et plus résilients face aux épreuves.

Pour que ce processus s’accomplisse, il est crucial de créer des espaces sûrs.

Les lieux, physiques ou symboliques, où chacun peut se sentir en sécurité, écouté et compris, offrent un terreau indispensable à la guérison. Ces espaces permettent de traverser la douleur sans être submergé par la honte ou la solitude.

Autrefois, certaines maladies graves comme le cancer étaient prononcées à voix basse, presque dans le secret, comme si elles étaient honteuses. Aujourd’hui, nous en parlons ouvertement. Mais les abus et le syndrome de stress post-traumatique restent encore largement tus, chuchotés ou ignorés. Le mouvement #MeToo a commencé à changer cette réalité. De plus en plus de personnes osent partager publiquement leurs expériences d’abus, et cela contribue à briser le silence et la stigmatisation.

Nos histoires de traumatisme sont puissantes, mais nos histoires de guérison le sont tout autant. Elles montrent que le chemin vers la reconstruction est complexe, chaotique et parfois long, mais qu’il est aussi profondément gratifiant. Briser le tabou autour de la guérison est tout aussi important que de briser celui autour du traumatisme lui-même.

Le TSPT, bien qu’encore rarement évoqué, touche un nombre considérable de personnes. On estime que 3,9 % de la population mondiale ont souffert d’un TSPT à un moment donné de leur vie. En France, une étude menée entre 1999 et 2003 a estimé la prévalence du TSPT à 0,7 % dans la population générale. Cependant, ces chiffres pourraient être sous-estimés du fait de la méconnaissance du trouble et de ses présentations incomplètes qui peuvent échapper au diagnostic.

Nous vivons dans un monde profondément marqué par le traumatisme, et il est impossible de guérir collectivement si nous ne disposons pas des outils pour le reconnaître, le nommer et l’accompagner avec patience et compréhension.

Le déni et la honte sont des mécanismes de défense naturels, mais immatures, qui finissent par bloquer le processus de guérison. Rompre avec ces schémas peut être douloureux. Affronter la réalité peut provoquer une crise, un effondrement apparent. Mais si nous restons ancrés dans nos expériences, si nous faisons confiance au processus de guérison, nous pouvons transformer notre douleur en force et créer un changement durable, tant sur le plan individuel que collectif.

La guérison n’est pas linéaire, mais elle est possible. Et chaque récit de résilience, chaque partage de parcours, contribue à éclairer le chemin pour nous-mêmes et pour les autres.

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Publié par Jean-Charles Réno

À propos de l’auteur: j'aime la nature et l'écologie mais je m'intéresse aussi à la psychologie et la spiritualité, je pense que tout est lié. Je suis arrivé dans l’équipe d’ESM en 2016 après avoir étudié en Angleterre et passé plusieurs années en Australie . Depuis toujours, je suis soucieux de la nature et de mon impact sur l’environnement. Ainsi, par le biais d’informations, j’essaie de contribuer à l’amélioration de l’environnement et de jouer un rôle dans l’éveil des consciences afin de rendre le monde un peu meilleur chaque jour.

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