
Symboliquement, nourrir un enfant, ce n’est pas seulement remplir son assiette. C’est lui donner de l’amour, de l’attention et de la présence. À l’inverse, lui offrir des images et des sons sur un écran, c’est lui inculquer l’impatience, le manque de respect, l’absence de dialogue… et surtout, l’ennui. En France, des orthophonistes comme
Marie-France Hirigoyen alertent régulièrement sur les enfants de 2 ou 3 ans qui ne parlent pas ou très peu. Selon elle, dans la majorité des cas, ces enfants restent silencieux parce qu’ils ne bénéficient pas de stimulations suffisantes de la part de leurs parents. Privés d’échanges, ils grandissent entourés de tablettes et de smartphones, muets et incapables d’apprendre la patience.
Les enfants ne savent plus attendre.
Ils nous mettent à l’épreuve jusqu’à ce que nous cédions, pour les calmer. Mais nous, adultes, avons appris la patience, justement parce que nous l’avons expérimentée étant enfants. Aujourd’hui, beaucoup de jeunes vivent leur attente avec un dessin animé ou une application sur un smartphone. Dans les restaurants, il n’est pas rare de voir des parents installer un iPad avant même de s’asseoir. Parfois, l’écran se retrouve carrément sur la table, à côté de l’assiette.
Symboliquement, c’est un échange de nourriture : nourrir un enfant, c’est lui transmettre de l’amour et du lien. Lui offrir des images et du son, c’est lui transmettre l’impatience, l’absence de respect et de dialogue. Rester assis à table « sans rien faire » peut sembler fastidieux, mais c’est justement dans ces moments d’attente que se construit la capacité à transformer l’ennui en expérience enrichissante, comme discuter avec ses parents ou écouter des histoires.
En France, des articles de « Le Monde » ou « Libération » ont récemment mis en lumière le manque de stimulation chez les jeunes enfants, et ses conséquences sur le développement du langage. Faute de dialogue et d’échanges, les tablettes sont omniprésentes et les enfants grandissent muets, privés de la capacité à patienter.
Chercher constamment à satisfaire l’enfant — ou parfois le craindre — est le premier pas vers l’isolement.
Privé de moments simples et de la possibilité de se créer un cocon familial, l’enfant s’éloigne d’abord de ses parents, puis du reste de la famille et des amis. Peu à peu, il perd la capacité de communiquer et d’entrer en relation. Tout cela parce que nous interrompons le processus naturel d’attente. Nous voulons éviter l’ennui à tout prix. Mais attendre, étymologiquement lié à l’« espoir » (compter sur, avoir confiance), permet à l’enfant de développer confiance et patience. Un peu d’ennui n’est pas dangereux : il est formateur.
Ah, l’attente… Comme il serait précieux d’apprendre aux enfants à attendre leur tour dans le métro parisien, à patienter que les autres sortent de l’ascenseur avant d’y entrer, à finir leur repas avant de se lever, à attendre de grandir pour obtenir ce qu’ils désirent. Apprendre à attendre, c’est apprendre à respecter les autres, à coexister dans un monde où le « moi » immédiat domine.
Sinon, nous enseignons que les autres n’ont pas d’importance et que tout peut s’obtenir instantanément par un cri ou une crise. Supprimer l’attente, c’est priver l’enfant de la capacité à réussir, car recevoir tout sur un plateau d’argent n’apporte aucune satisfaction durable.
L’attente suscite l’anticipation, le respect, la conscience d’autrui, le dialogue, la stimulation intellectuelle et la confiance.
Elle améliore les amitiés et prépare à vivre en société. Les enfants qui apprennent à patienter deviennent des adultes capables de participer pleinement à la vie collective, sans toujours se placer au centre. Et c’est une condition essentielle pour bâtir l’avenir que nous souhaitons tous.

